Dans une note du CAE intitulée « Gouverner la protection sociale, transparence et efficacité » publiée fin janvier 2016, Antoine Bozio et Brigitte Dormont proposent une vaste réforme de l’architecture de la protection sociale. L’idée est d’en renforcer la lisibilité et l’efficacité. Il s’agirait de la réorganiser autour d’un pôle non contributif (famille, maladie, lutte contre la pauvreté) intégré dans le budget de l’État et financé par l’impôt, et un pôle contributif (retraite, assurance chômage, IJ) financé par des cotisations sociales.
Ils proposent aussi d’unifier les régimes couvrant un même risque : orienter la couverture du risque santé sur le panier de soins solidaire et recentrer les assurances facultatives sur la couverture des soins hors de ce panier ; unifier la gouvernance des régimes de retraite obligatoires et harmoniser les règles d’accumulation des droits.
Le sujet n’est pas si souvent traité alors qu’il est essentiel.
On peut se féliciter de ce travail de réflexion de haute qualité, même si certaines options sont sujettes à débat.
Notre pays se caractérise d’une part par l’importance de la part publique de ces dépenses, et d’autre part par le morcellement du système institutionnel de protection sociale. En outre, la sécurité sociale a laissé de côté des éléments importants de la protection sociale, comblés par d’autres institutions (Unedic, Agirc-Arrco, complémentaires santé), dont certains restent « hors champs » de la dépense publique.
Cette gouvernance éclatée pose plusieurs problèmes économiques majeurs.
1 – Dissocier prestations contributives et non contributives
Cette organisation ne permet pas de faire une distinction claire entre deux types de protection sociale dont les logiques de solidarité et de financement diffèrent :
- les régimes qui versent des prestations contributives, dont l’objet est d’assurer des revenus de remplacement aux revenus d’activité,
- et les systèmes de protection sociale qui offrent des prestations à tous les citoyens en fonction de leurs besoins, sans rapport avec leurs contributions.
Pour les auteurs, « Cela contribue à la faible lisibilité des prélèvements obligatoires finançant la protection sociale ». En revanche, une plus grande efficacité du prélèvement obligatoire peut être obtenue en attribuant un financement par cotisations sociales aux prestations contributives. D’ailleurs, concernant les retraites, l’importance des prélèvements ne sera tenable à terme que si le lien visible entre prélèvement et prestations est maintenu.
Les dépenses contributives (proportionnelle aux revenus des assurés) constituent environ 54 % du total, tandis que les ressources contributives représentent 62 %.
Par souci de cohérence, de transparence, et d’efficacité, la note suggère de refondre l’architecture de la protection sociale avec
- Un pôle non contributif (famille, maladie, lutte contre la pauvreté), intégré dans le budget de l’État et financé par l’impôt,
- Et un pôle contributif (retraites, assurance chômage, IJ) financé par les cotisations sociales. Cette réforme n’entraînerait pas d’Etatisation du système de soins, mais mettrait fin à la tuyauterie complexe de l’affectation des ressources.
2 – Favoriser les arbitrages démocratiques
Le système actuel présente aussi l’inconvénient de rendre difficile la réalisation d’arbitrages collectifs sur l’importance de la dépense publique de protection sociale et son partage entre les différents risques. La LFSS et l’Ondam ont certes été instaurés en 1996, mais 24 % des dépenses publiques de protection sociale ne sont couvertes ni par la LFSS, ni par les LF.
La note propose de présenter chaque année, lors des débats budgétaires, une annexe retraçant une décomposition de l’ensemble des dépenses publiques par fonction et risque social couvert.
Enfin, autre écueil de l’organisation actuelle, le défaut de coordination au sein d’un même risque social, ainsi qu’entre régimes de base et complémentaire, qui ne permet pas de satisfaire les besoins au moindre coût pour la société.
3 – Unifier la couverture du risque santé
En matière de santé, les auteurs estiment que toute la dépense remboursable doit être maîtrisée (qui inclue les dépassements d’honoraires et la liberté tarifaire) et non seulement la dépense « remboursée ».
Cela semble d’autant plus important que la réduction des taux de remboursement comme outil de régulation budgétaire déresponsabilise les autorités en charge du pilotage du système de soins.
Brigitte Dormont et Antoine Bozio proposent que soit unifiée la couverture du risque santé pour les soins du panier solidaire et de recentrer les assurances facultatives sur la couverture des soins hors de ce panier.
En attendant, afin de protéger les assurés sociaux et de garantir des mécanismes de solidarité sur la partie complémentaire de la couverture assurée par l’AMC, il s’agirait de plafonner les restes à charge : les individus dont le reste à charge annuel cumulé dépasse une somme donnée seraient couverts à 100 % par la couverture publique sur le champ de la dépense reconnue.
4 – Vers la refonte des régimes de retraite
Le système de retraite est marqué par un morcellement important, avec sa trentaine de régimes de retraite. Si ce morcellement peut parfois se justifier, il n’apporte pas d’avantages évidents, mais se traduit par un manque crucial de coordination entre les régimes, engendrant des surcoûts administratifs, des incohérences et l’illisibilité des droits à pension pour les assurés.
Cet état de fait engendre des difficultés de gestion, qu’illustrent par exemple les régimes de la fonction publique, qui ne connaissent pas le montant des primes des agents, et ne peuvent donc pas estimer le taux de remplacement effectif qui leur sera offert. Les auteurs notent que cette situation kafkaïenne pourrait « être largement améliorée » avec l’avènement, à l’horizon de 5 ans, du répertoire de gestion des carrières unique (RGCU), dont le but est d’obtenir un système d’information tous régimes.
Pour remédier à cette complexité, la note prône ainsi d’unifier la gouvernance des régimes de retraites obligatoires en instaurant un pilote unique et interlocuteur unique, fédération des régimes existants. « Cette fédération n’impliquerait pas la fusion des régimes, ni l’uniformisation des droits », mais pourrait reposer « sur une harmonisation progressive des règles définissant l’accumulation des droits, tout en maintenant des efforts de contribution, et donc de droits différenciés ». Dans ce cadre, les efforts de coordination pourraient reposer sur l’harmonisation en cours des systèmes d’information des différents régimes et leur alimentation du RGCU.