Alors que le RSI est au centre de toutes les préoccupations, la question se pose clairement de son avenir. Le Ministre de l’Économie se demande si le RSI ne devrait pas rejoindre le Régime Général des salariés. Le Premier Ministre rappelle qu’il ne saurait en être question car cela entrainerait une augmentation de 30% des cotisations des artisans et commerçants.
Le moment n’est-il pas venu de faire de cet accident industriel qu’a été la mise en place du RSI une occasion majeure d’évolution de notre système de protection sociale ?
Pour bien comprendre, il faut faire un retour dans le passé.
En 1946, dans l’esprit des créateurs de la sécurité sociale, seuls deux régimes devaient exister :
- Le régime agricole, la France étant encore un pays largement rural au sortir de la guerre,
- Un régime général prenant en charge l’ensemble des autres professions, y compris les salariés du secteur public.
Ce système fut immédiatement contesté tant par les fonctionnaires et salariés de ce qu’on appelle les régimes spéciaux, que par les indépendants, populations qui se rejoignaient dans la volonté de ne pas être « mélangées » avec les autres.
1 – Les raisons qui ont présidé dès l’origine à la création de la protection sociale des indépendants sont toujours à l’œuvre
Dès l’origine, les professions indépendantes avaient souhaité créer des régimes propres aux commerçants, aux artisans et aux professions libérales.
Force est de constater que les motivations d’origine des indépendants se trouvent encore pour une part à l’œuvre aujourd’hui.
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- Sur le plan technique :
- Ils se méfiaient d’une retraite par rente : ils privilégient encore l’immobilier et l’assurance vie,
- Ils ne voulaient pas déclarer leurs revenus : certains cherchent encore parfois, quand ils le peuvent, à faire « évader » une part de leurs revenus.
- Sur le plan politique :
- Indépendants dans l’âme, les non-salariés ne comprenaient pas qu’on les force à verser d’importantes cotisations obligatoires : ils privilégient toujours le facultatif en cherchant à verser le strict minimum aux régimes obligatoires.
- Goutte d’eau qui, dans l’après-guerre, avait fait déborder le vase, ils n’entendaient pas relever d’un système obligatoire, qui était à l’époque largement dans les mains de la Confédération Générale du Travail, et donc sous forte influence communiste. Le paysage social ayant fortement évolué, cette motivation joue moins. Toutefois encore, pour la gestion du fonds d’action sociale des actifs, les chefs d’entreprises sont attachés à ce que les décisions se prennent entre eux et ne relèvent pas de représentants de salariés qui connaissent mal leur réalité.
- Sur le plan technique :
Sauf à postuler que des personnes ayant fait le choix un jour dans leur vie de se mettre à leur compte et de créer une entreprise ne sont pas à même de savoir ce qui est bon pour eux au regard de la protection sociale, n’oublions pas que – pour des raisons structurelles – les chefs d’entreprise ont des comportements différents de ceux des salariés :
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- En premier lieu, ils paient eux-mêmes l’intégralité de leurs charges sociales, ce qui les rend particulièrement sensibles à cette question.
- En cas de baisse de leur activité, ils peuvent voir leurs revenus diminuer très fortement. Bon nombre de chefs d’entreprise ont en réalité créé leur propre emploi mais ne développent pas une véritable structure avec des salariés. Leur situation s’avère ainsi beaucoup plus précaire que les salariés qui connaissent une plus grande régularité de leurs ressources.
- Pour assurer leur développement – les experts-comptables le savent bien – les chefs d’entreprise doivent optimiser leur stratégie entre revenus, charges et investissement.
Au final, une activité commerciale, artisanale ou libérale est par essence fragile et particulièrement soumise aux aléas de la conjoncture économique et de la vie personnelle des chefs d’entreprises.
Par conséquent leurs besoins de couverture ne sont pas identiques à ceux des salariés.
2 – Disposer d’un régime plus souple que celui des salariés : un enjeu essentiel
L’activité des indépendants est par nature fluctuante. La structure même de la protection sociale doit s’adapter à cet environnement particulier.
Des progrès ont été faits dans la gestion des régularisations de cotisations afin d’éviter qu’un décalage trop marqué entre revenu servant de base de calcul à titre provisionnel et revenu encaissé ne conduise à des difficultés de trésorerie.
Mais pourquoi chercher à copier la protection sociale des salariés ?
Au final, la logique du régime des TNS est de tendre à un objectif : protéger contre les risques lourds de l’existence tout en maintenant au plus juste les prélèvements obligatoires.
Le dispositif actuel, en cherchant trop à coller au statut des salariés, en reproduit les limites et parfois même les amplifie. Par exemple, sait-on que le régime complémentaire de retraite du RSI est aujourd’hui plus redistributif encore que celui des salariés : c’est en effet le seul des régimes complémentaires à imposer une condition de ressources pour les droits à réversion.
3 – La cause profonde des difficultés de gestion du RSI n’est pas réglée
De nombreux rapports ont détaillé les conséquences de la mise en place du RSI en 2006 et plus encore de l’Interlocuteur Social Unique en 2008.
Inutile de revenir sur les conséquences dramatiques pour de nombreux indépendants, elles sont hélas bien connues.
En réalité, l’erreur initiale fut la volonté du Ministère de Affaires Sociales et du Ministère du Budget, afin de générer des économies sur les budgets informatiques, d’exiger que le RSI délègue aux URSSAF une partie des missions dans le domaine du recouvrement.
Soulignons que l’origine des difficultés informatiques n’a toujours pas été réglée : à savoir la coexistence impossible de deux systèmes d’information, celui des Urssaf et du RSI. Comment la haute fonction publique pouvait-elle ne pas imaginer que l’organisation mise en place ne pouvait fonctionner ?
C’est un peu comme si on obligeait le constructeur Peugeot à confier son informatique et sa recherche & développement à Volkswagen….
La situation actuelle s’est améliorée par rapport aux années précédentes. Il n’en demeure pas moins que le fonctionnement administratif n’offre pas encore la stabilité que l’on serait en droit d’attendre d’un régime obligatoire.
4 – S’inspirer d’une organisation qui fonctionne : les professions libérales et le monde agricole
Pour autant, est-ce à dire que l’organisation des indépendants est condamnée à la complexité et au dysfonctionnement ?
Les faits prouvent le contraire :
En matière de complexité, la protection sociale des salariés l’est bien plus pour quelqu’un qui connait les près de 400 conventions collectives applicables et les subtilités de la prévoyance collective….
A l’inverse, les libéraux comme les exploitants agricoles démontrent que les régimes de libéraux peuvent être tout à fait bien managés :
- Quant à elle, la gestion des professions libérales, pour moins intégrée qu’elle ne l’est par rapport aux caisses agricoles, ne pose pas de problème particulier hormis pour celles qui subissent une rotation effrénée de leur portefeuille (on pense notamment à la Cipav qui supporte le poids des autoentrepreneurs dont la courte espérance de vie et la faible capacité contributive génèrent une lourde surcharge de travail).
Ainsi, la protection sociale des indépendants n’est pas condamnée par nature à une gestion chaotique. Le régime agricole et les régimes de professions libérales en sont la parfaite illustration.
5 – Créer le Régime des Entrepreneurs, des Libéraux et des Agriculteurs (RELA) pour en faire le laboratoire de la protection sociale de demain.
Les conditions d’exercice professionnel évoluent au rythme des changements profonds de l’environnement économique et social.
Qui peut aujourd’hui encore soutenir que le salariat constitue le statut de référence et intangible ?
En matière de dépendance économique et de lien de subordination, toute la palette existe entre l’exercice indépendant et le salariat traditionnel. Dans le même temps, les frontières deviennent de plus en plus poreuses entre vie professionnelle et espace privé.
Ces évolutions profondes ont des conséquences sur le champ d’application et les domaines d’intervention de la protection sociale.
Comment par exemple qualifier un accident qui intervient au domicile pour un cadre alors même qu’il travaille sur sa tablette. Dans le même temps, est-il légitime qu’un TNS soit protégé de la même manière en cas d’arrêt de travail ou d’accident de la vie courante ?
Ces situations fluctuantes et leurs conséquences en matière de droit sociaux, qui mieux que les indépendants peuvent en définir le contour et tester des solutions originales qui seront ensuite le cas échéant étendues aux salariés ?
Compétents en matière de retraite, de prévoyance et de santé, les régimes d’indépendants disposent ici d’une véritable légitimité pour constituer le laboratoire de la protection sociale.
Une autre piste rarement évoquée mais pourtant passionnante à étudier serait un regroupement entre le RSI, les professions libérales et la Mutualité Sociale Agricole pour créer le RELA, le Régime des Entrepreneurs, des Libéraux et des Agriculteurs.
Si l’on veut vraiment simplifier la vie des entrepreneurs, le modèle de référence est celui du monde agricole. Avec sa pratique ancienne du guichet unique, le concept de « l’assuré au cœur du dispositif » n’est pas un vain mot au sein de la MSA.
En regroupant les régimes d’indépendants – tout en conservant certaines de leurs particularités au sein de sections spécifiques – le tout en appliquant un véritable guichet unique, les pouvoirs publics constitueraient ainsi un nouveau pôle de sécurité sociale réellement important.
Cela introduirait une émulation avec le régime général qui ne peut être que profitable aux assurés sociaux.
A l’inverse, faire absorber tous les régimes d’indépendants, MSA compris, par le régime général, n’aurait aucun intérêt pour l’État, bien au contraire.
Est-ce d’ailleurs souhaitable pour l’État d’avoir face à lui un organisme aussi puissant qu’une Acoss gérant toute la population française ?
On ne peut concevoir qu’il ne le dirige directement ou indirectement, ce qui aboutirait à l’Étatisation complète du système.
Au final, les malheurs du RSI peuvent constituer une chance pour notre système de protection sociale. A condition de sortir par le haut et de poser les bonnes questions sur ce qui doit être garanti ou non à titre obligatoire et à quel prix.