Interview : « La réforme de l’assiette sociale des TNS pourrait entraîner des changements de statuts sociaux » – Frédéric Rogier, Président de la CAVEC

À compter du 1er janvier 2025, les 4 millions de travailleurs indépendants français connaîtront un changement de taille. En effet, une réforme de l’assiette de leurs cotisations sociales est prévue à cette échéance.

L’objectif affiché de cette réforme : établir une équité contributive entre indépendants et salariés et accroître à terme les droits à retraite des premiers.

Toutefois, sa concrétisation n’est pas sans risques et présente même des effets délétères.

Regards sur la réforme, incidences de l’abattement de 26 %, propositions alternatives… Frédéric Rogier, Président de la Caisse d’assurance vieillesse des experts-comptables et des commissaires aux comptes (CAVEC), nous livre ses réflexions sur le sujet.

Entretien.

La réforme de l’assiette des cotisations des TNS n’a-t-elle que des effets vertueux ?

 » Cette réforme de l’assiette sociale des travailleurs indépendants poursuit un objectif intéressant puisqu’elle vise à augmenter les droits retraite des concernés. Mais sa concrétisation a des effets que je qualifierais de pervers au regard de certains risques que je vous exposerai au fil de notre entretien.

S’agissant des effets vertueux de la réforme, il faut savoir que les modalités actuelles de calcul des charges sociales des professionnels indépendants sont assez pénalisantes. En effet, ces derniers s’acquittent d’une plus grande part de CSG-CRDS que la majorité des autres contribuables. Cela est tout simplement dû au fait que les indépendants payent ces prélèvements sociaux sur leur résultat, mais également sur leurs charges sociales.

Le législateur a décidé de réformer ce mode de calcul. Sur le principe, il s’agira de payer moins de contributions sociales non créatrices de droits sociaux et de rediriger les sommes économisées vers des cotisations créatrices de droits, et notamment à la retraite. Ce qui est bien, compte tenu de la faiblesse des taux de remplacement. Une réforme bienvenue au départ mais qui pourrait entraîner des effets délétères sur les assurés concernés.  »

Quels seraient ces effets délétères ?

 » Selon moi, il existe 2 problèmes majeurs avec cette réforme :

  • Un problème légal : nous sommes soumis à un principe d’égalité devant les charges publiques, c’est inscrit dans la Constitution, c’est-à-dire qu’on doit tous participer au budget de l’Etat selon notre capacité contributive. Avec cette réforme, il n’y a plus la mesure de la capacité contributive puisque certains se retrouvent pénalisés par la réforme ;
  • Une marche en arrière vers un système forfaitaire : en tant qu’expert-comptable depuis 40 ans, j’ai vu les pouvoirs publics fournir des efforts phénoménaux et mettre en place d’innombrables mesures pour que les agents économiques paient sur la réalité des revenus. Cette réforme prévoyant un système d’abattement forfaitaire va donc à contre-courant. « 

Que pensez-vous de cet abattement de 26 % ?

 » Tout d’abord, je pense que cette réforme n’est pas liée à une volonté de simplification, mais à des raisons d’équilibre budgétaire. Cet abattement de 26 % en est l’incarnation.

Je m’explique : la réforme nous fait passer d’une assiette « superbrute » comprenant les charges sociales, à une assiette nette de laquelle nous devrons déduire nos charges sociales. Mais, en lieu et place d’une déduction des charges sociales réelles, la réforme prévoit d’appliquer l’abattement de 26 %.

Autre problématique, ce taux de 26 % est forfaitaire, il n’est donc pas le résultat d’un calcul et, de surcroît, il est encadré par un plancher fixé à 1,76 % du PASS (816 € en 2024) et un plafond s’élevant à 130 % du PASS (60 278 € en 2024).

Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il est possible d’appliquer l’abattement de 26 % tant que vous êtes dans ces limites. Si vous devez vous acquitter de charges sociales situées hors de ces bornes, vous ne pouvez pas en tenir compte.

Problème, en raison du plafonnement de cet abattement, les indépendants percevant des revenus importants cotiseront sur une base supérieure à la réalité, c’est-à-dire qu’ils ne pourront pas déduire la totalité des charges sociales dont ils devront s’acquitter.  »

Vous auriez un exemple ?

 » Par exemple, un indépendant ayant 80 000 € de charges sociales à payer ne pourra déduire que 60 278 €, somme égale à 130 % du PASS correspondant au plafond relatif à l’abattement de 26 %. De ce fait, il recotisera sur ce différentiel. Conséquence directe dont il se rendra compte dès l’application de la réforme : il payera plus de cotisations.

Autre élément discutable lié à cet abattement, si l’on regarde le détail des cotisations versées par les travailleurs indépendants et les professionnels libéraux, on constate qu’ils s’acquittent de taux de cotisations très différents. Malgré tout, ce taux d’abattement sera le même pour tous, ce qui cause un problème d’équité puisqu’il ne recouvre pas la même réalité selon le statut des professionnels concernés.

Enfin, ce taux de 26 % a été calculé en prenant en compte les taux de cotisations actuels, or, ces taux de cotisation seront amenés à évoluer à l’avenir. Ce taux de 26 % sera-t-il ajusté au fil des ans ? Parce que plus les taux de cotisations vont augmenter, plus les gens seront perdants avec un taux fixe.

Le risque à terme, c’est que certains assurés percevant de hauts revenus – qui vont se retrouver à cotiser sur des bases qu’ils n’auront pas – opèrent un changement de statut social et passent par exemple du statut d’indépendant à salarié.  »

Est-ce ce qu’on avait d’autres solutions pour arriver à cet objectif initial d’augmenter les droits à pension ?

 » Oui, puisque l’on payait trop de CSG-CRDS, on aurait très bien pu baisser son taux sans modifier l’assiette.

Ensuite, au lieu d’appliquer un abattement de 26 % bordé en haut et en bas, on aurait pu déduire les charges sociales réelles, autrement dit, l’indépendant aurait déclaré en matière sociale ce qu’il déclare en matière fiscale selon le principe de base qu’est le réel.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire marche arrière, la loi ayant été votée, les évolutions sont programmées, et les outils sont en place.

Certains seront gagnants certes, mais à la CAVEC, nous pensons qu’il est souhaitable de laisser le choix aux personnes qui le souhaitent d’avoir une option pour le réel. Cette possibilité présenterait l’avantage de ne pas remettre en cause la réforme et de permettre à ceux qui vont se trouver pénalisés par les changements qu’elle opère de revenir à un système normal.   »

Merci encore à Frédéric Rogier pour son temps et la qualité de nos échanges.

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