Paris, le 10 septembre 2013. Le projet de loi « garantissant l’avenir et la justice des retraites » a été transmis pour avis aux Caisses de Sécurité sociale. L’Institut de la Protection Sociale (IPS) s’inquiète d’un certain nombre de dispositions techniques aux conséquences parfois préjudiciables pour les actifs et les entreprises. Plus grave, le projet de loi engage une étatisation irrémédiable des caisses des professions libérales, menaçant ainsi les réserves financières des seuls régimes ayant bien gérés leurs engagements par le passé.
PRÉAMBULE :
L’IPS ne se prononce pas sur l’adéquation des mesures adoptées aux besoins financiers réels des régimes obligatoires. Il ne s’arrête pas non plus sur le fait que le projet de réforme ne concerne que les seuls régimes de base du secteur privé, sans tenir compte des déficits des régimes publics (8,7 Mds € pour les régimes publics contre 7,3 Mds € pour la retraite de base du secteur privé) .
En revanche, il souhaite prioritairement attirer l’attention à l’égard de certaines dispositions techniques inutiles voire néfastes pour les actifs et les entreprises.
1 – Mesure inutile : encourager le rachat de trimestres pour les jeunes (article 16)
Le nombre de trimestres exigé pour avoir le taux plein va augmenter à partir de 2020 pour atteindre 172 trimestres en 2035.
La question des rachats de trimestres est importante. Mais dans les faits, ils interviennent en moyenne à 55 ans. En effet, très peu de personnes rachètent jeune (seul 1% des rachats intervient avant 40 ans). L’idée de proposer un tarif préférentiel est inutile et injuste. Inutile car les jeunes cherchent avant tout à trouver du travail et à financer l’achat de leur logement. Injuste car cela revient à financer principalement ceux qui ont la chance de faire des études supérieures.
2 – Mesure préjudiciable : durcir les conditions d’accès au cumul emploi retraite (article 12)
Le projet de loi pointe la différence de traitement entre les personnes au titre du cumul emploi retraite. Le fait de changer de groupe, notamment en créant une entreprise après son départ en retraite, permet plus de souplesse. C’est vrai pour la limitation du cumul des revenus mais aussi de l’acquisition de droits à retraite supplémentaires.
Le projet veut limiter drastiquement l’incitation à la reprise d’activité. En cela, il s’inscrit dans une logique malthusienne dont la situation actuelle de l’économie française illustre chaque jour l’échec. C’est en effet l’activité – même des retraités – qui crée la richesse et l’emploi des plus jeunes.
Il faut au contraire assouplir l’accès des salariés au cumul emploi retraite.
3 – Mesure insuffisante : aménagement de la retraite progressive (article 11)
Ce dispositif existe depuis très longtemps. Pourtant, il n’a jamais reçu qu’un maigre accueil de la part des français. Le projet de loi envisage de baisser les conditions d’âge pour y accéder.
La mesure prévue est notoirement insuffisante, surtout si les conditions de cumul emploi-retraite devaient être durcies.
En effet, dans le cadre de la retraite progressive, le principe d’égalité voudrait qu’elle soit ouverte aux professions libérales et aux dirigeants assimilés salariés. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
4 – Mesure pénalisante : la création d’un compte pénibilité (articles 2 à 10)
L’idée de mieux prendre en charge la pénibilité semble séduisante à première vue.
Pour autant, la question essentielle est de se demander si c’est vraiment au système de retraite de s’en acquitter. Aller au-delà des dispositions existantes (liquidation anticipée pour inaptitude) apparait des plus risqués. Le dispositif présenté dans le projet de loi est complexe en termes de gestion pour les entreprises. Il va aussi ouvrir lieu à des interprétations sans fin sur les conditions de pénibilité. Il risque en outre de stigmatiser encore plus certains secteurs qui rencontrent des difficultés de recrutement.
Enfin, le coût de la mesure doit être supporté par les entreprises. Cela va encore une fois dégrader leur situation économique et à coup sûr augmenter le chômage des plus fragiles.
5 – Un déni de démocratie : le changement de la gouvernance de la caisse des professions libérales (article 32)
Le projet de loi entend préciser les missions de la caisse en instaurant notamment une
« contractualisation pluriannuelle avec l’État ». Il prévoit la nomination de son directeur par arrêté (et non plus élection par le Conseil d’Administration) ainsi qu’un encadrement des statuts des sections professionnelles.
En réalité, cette mesure vise à organiser l’étatisation du système de retraite des professions libérales via la mise sous tutelle par l’État de la CNAVPL, leur caisse de retraite de base. Par ce biais, c’est la disparition programmée des spécificités de chaque profession au moyen de la mise sous tutelle des sections professionnelles par la CNAVPL et d’une uniformisation de leurs spécificités.
Cette situation est d’autant plus inacceptable que :
- Les caisses professionnelles sont gérées par des conseils d’administration élus par leurs assurés. Ce n’est pas le cas du régime général des salariés. Cela revient clairement à « s’asseoir » sur le suffrage universel.
- Les caisses de professions libérales ont pour leur grande majorité été très bien gérées. Leurs difficultés financières sont le plus souvent le fait de décisions de l’Etat (on pense notamment à la charge que représentent les auto-entrepreneurs sur les comptes de la CNAVPL) et non de leur propre gestion.
- De plus, au-delà de la volonté affichée de moderniser la gouvernance de la CNAVPL, c’est la tentation pour l’Etat de capter les réserves des régimes complémentaires des libéraux (21 milliards d’€). Si cet article était adopté, l’Etat pourrait être tenté de faire de même sur les régimes complémentaires des salariés et les réserves de l’ARRCO et de l’AGIRC.
CONCLUSION :
A la lumière de ces indications, l’Institut de la Protection Sociale souhaite attirer l’attention des pouvoirs publics et demande :
1- Le retrait des mesures suivantes :
- Article 16 sur les rachats de trimestres.
- Article 12 sur le cumul emploi retraite.
- Article 32 sur la gouvernance des régimes de professions libérales.
- La réécriture de l’article sur la retraite progressive pour l’ouvrir aux professions libérales et aux dirigeants assimilés salariés.
3- Le report des articles 2 à 10 sur la pénibilité afin d’engager une évaluation intégrale de la pénibilité au travail.
- Cela passerait par un examen des actions à mettre en œuvre durant la vie active pour baisser la pénibilité des postes de travail
- Le pilotage de la pénibilité va constituer une charge supplémentaire de gestion pour les entreprises. Il n’y a aucune raison pour qu’elles en payent le coût. L’Etat devrait donc verser aux entreprises – sous forme de décote de cotisation patronale – une somme forfaitaire (par exemple à hauteur de 100 € par salarié).
- Un examen des conditions effectives au sein des régimes spéciaux. En effet, la seule justification des départs anticipés dans les régimes Sncf, Ratp, Edf,… ainsi que pour certaines activités de la fonction publique, c’est la pénibilité de leur fonction. C’était peut-être vrai en 1946. Est-ce encore vrai aujourd’hui ? Réduire les avantages des professions qui ne subissent plus de pénibilité au travail serait le moyen de financer la pénibilité des salariés qui la subissent vraiment. En cela, la mesure serait juste et s’inscrirait totalement dans la logique de la présente loi.