L’incroyable feuilleton de l’assujettissement des dividendes à cotisations sociales
Ou comment partir d’un constat juste et adopter une solution qui ne l’est pas !
par Olivier Cambray, Expert-comptable associé, Président du groupe Trigone et Olivier Sanchez, Expert-comptable associé et Directeur du pôle prévoyance chez Yzico, respectivement pilote et membre du Comité Technique dédié à la cette problématique.
Interview d’Olivier Cambray,
Expert-comptable associé, Président du groupe Trigone, pilote du Comité Technique dédié à la problématique de l’assujettissement des dividendes à cotisations sociales au sein de l’Institut de la Protection Sociale. Le Groupe TRIGONE est partenaire de l’IPS.
Depuis l’origine, en 2009, la gestion de ce dossier semble mal engagée.
Pour bien comprendre la situation, revenons en octobre 2014, date à laquelle le feuilleton est revenu sur le devant de la scène. Dans le cadre du PLFSS pour 2015, les députés ont adopté un amendement qui étendait aux dirigeants majoritaires de SA et SAS affiliés au régime général le dispositif d’assujettissement social des dividendes existant dans les régimes des travailleurs indépendants.
Pouvez-vous nous expliquer quelle ambition visait le législateur par l’instauration de cette mesure ?
La LFSS 2013 (article 11) avait pour objectif de gommer une disparité de traitement entre le régime appliqué aux dirigeants de SEL et celui appliqué aux dirigeants des autres sociétés de droit commun (SARL, SAS, SA).
Mais en votant une extension du dispositif aux seuls dirigeants de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et relevant au plan social du régime des non salariés, le législateur a introduit une nouvelle distorsion.
En effet, les dirigeants contrôlant majoritairement des SA ou SAS et relevant de ce fait du régime général de la Sécurité Sociale (assimilé salarié) échappent aujourd’hui au dispositif d’assujettissement des dividendes aux cotisations sociales.
La solution d’assujettir les dividendes à cotisations sociales adoptée par le législateur vous parait-elle aller dans le sens de la simplification et de la justice?
La mesure adoptée n’est ni simple, ni juste.
Pas simple car il y a aujourd’hui (ce qui n’existait pas auparavant) une distorsion dans la qualification du revenu entre la législation fiscale et la législation sociale. Revenu du patrimoine en fiscal et revenu d’activité en social avec les conséquences que l’on connait (assujettissement aux cotisations sociales et à la CSG CRDS des revenus d’activité au taux de 8% pour les dividendes dépassant le plafond de 10% tout en restant au plan fiscal des revenus de capitaux mobiliers toutefois non taxés aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine au taux de 15.5%).
Pas juste, car rien ne justifie a priori que des dirigeants placés dans une situation identique (contrôle majoritaire du capital) soient traités différemment. L’inégalité de traitement difficile à justifier rend la mesure inéquitable.
L’IPS introduit même la notion d’instabilité dans cette réforme.
Pouvez-vous préciser le risque introduit par le législateur en votant un extension du dispositif aux seuls dirigeants de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et relevant au plan social du régime des non salariés ?
Le fait d’exclure ( à ce jour) les dirigeants de SAS contrôlant majoritairement le capital du dispositif entraine un mouvement de transformation et de constitution de sociétés sous cette forme avec pour seule motivation la volonté d’échapper à l’assujettissement des dividendes aux cotisations sociales. On pourrait d’ailleurs recommander à ceux qui adoptent le statut de la SAS pour cette seule motivation de faire préalablement des simulations chiffrées qui pourrait leur réserver des surprises ( ce qui paraît évident en apparence ne l’est pas toujours quand on creuse un peu !!)
Il semblerait que le législateur n’ait pas concrètement mesuré la rentabilité réelle de cette réforme tant du point de vue des sommes collectées que des coûts de gestion administrative significatifs. En tant que pilote du Comité Technique dédié à l’assujettissement des dividendes à cotisations sociales, vous vous êtes largement penchés sur cette question de rentabilité pour l’Etat. In fine, quel montant la collecte nette génèrerait-elle ?
Le RSI (Régime Social des indépendants) fait état d’une collecte de 200 millions d’euros en 2014 ( 300 millions en réalité mais 100 millions collectés par l’Urssaf) au titre des cotisations relatives aux seuls dividendes. On pourrait se réjouir de cette ressource supplémentaire au demeurant faible.
Mais combien reste-il au final quand :
- On retire l’effet de déductibilité des cotisations sociales additionnelles des résultats des sociétés concernées et son impact sur la diminution de l’impôt sur les sociétés versé.
- On retire l’effet de différentiel de taux entre les prélèvements sociaux sur revenus d’activité au taux de 8% encaissés désormais par le RSI/URSSAF sur la part des dividendes assujettis à cotisations sociales et les prélèvements au taux de 15.5% qui ne sont plus encaissés par le Trésor Public (perte de recettes encaissées de 115 millions d’euros pour le Trésor Public avec un transfert sur l’Urssaf limité à 59 millions d’euros)
- On retire les effets liés dans le temps à l’augmentation de la part des dividendes non assujettis à cotisations sociales suite à des décisions juridiques d’augmentation du capital social par incorporation de réserves ou de transformation en SAS.
Cette mesure ne semble donc ni juste, ni efficace, ni rentable.
L’Institut de la Protection Sociale (IPS) demande ainsi depuis octobre 2014 l’abandon de cette mesure mais va également plus loin dans le raisonnement en apportant une solution qui se veut pragmatique, issue du terrain et surtout d’intérêt général.
Quelle serait cette solution et pouvez-vous nous nous en décrire les principaux mécanismes ?
La meilleure solution serait effectivement l’abandon de cette mesure car en effet un dividende est avant tout un revenu du capital qui doit être appréhendé comme tel ce qui est d’ailleurs toujours le cas au plan fiscal.
Mais comme certains dirigeants de SEL ont abusé au point de ne plus (ou peu) se verser de rémunérations au profit de dividendes, le législateur s’est emparé de cette question et a voulu contrer les abus constatés. Le principe de l’assujettissement des dividendes excédant le plafond de 10% aux cotisations sociales a donc été acté dans la LFSS pour 2009 pour les seuls dirigeants de SEL puis étendus en 2011 aux EIRL puis dans la LFSS pour 2013 aux dirigeants de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et relevant du statut social des non salariés.
Mais à défaut d’abandon, l’Institut de la Protection Sociale propose une mesure simple, juste et qui serait d’application générale.
Ne devrait être considérée comme un abus (et donc soumise aux charges sociales) que la distribution des dividendes au bénéfice d’un dirigeant, qu’il soit assimilé salarié ou indépendant, n’ayant pas déclaré (et donc cotisé) un revenu professionnel au moins égal au montant du plafond annuel de Sécurité Sociale (38 040 € en 2015).
Seuls relèveraient ainsi du régime fiscal de droit commun les dividendes perçus par un dirigeant qui a déclaré une rémunération au moins égale au montant du plafond annuel de Sécurité Sociale.
Ceci donnerait au dispositif de la simplification (pas de discrimination selon les catégories d’entrepreneurs, pas de calculs subtils sur la franchise de 10 %), de la stabilisation et de la visibilité.
Interview d’Olivier Sanchez,
Expert-comptable associé, Directeur du pôle prévoyance d’YZICO et membre du Comité Technique dédié à la problématique de l’assujettissement des dividendes à cotisations sociales au sein de l’Institut de la Protection Sociale. Yzico est partenaire de l’IPS.
Afin de soutenir l’argumentaire proposé par le Comité Technique, Olivier Sanchez a largement consacré sa réflexion aux calculs qui serviront d’ancrage factuel pour le débat. Pour mesurer de manière neutre l’évolution de la situation des contribuables concernés par l’assujettissement des dividendes à cotisations sociales, Olivier Sanchez a pris pour base un ressortissant du régime social des indépendants (RSI) et comparé plusieurs cas permettant de balayer le plus grand nombre de situations possibles.
Grâce à l’excellent et imposant travail mené, les chiffrages d’Olivier Sanchez ont permis de mettre en exergue les orientations suivantes :
- La réforme a accentué les distorsions entre les revenus les plus modestes de l’étude, toujours plus taxés et les dirigeants aux moyens plus importants peu impactés ou même favorisés.
- La réforme a incité les dirigeants à adopter des stratégies d’évitement comme le passage en SAS, la constitution de réserves (non réinjectés dans l’économie) ou l’augmentation du capital social. Ces stratégies d’évitement ont placé les contribuables dans une certaine zone de turbulence et finalement leur coûte plus cher que leur statut initial. Ces stratégies d’évitement ont créés des impacts budgétaires notables dans les caisses de retraites (notamment le passage en SAS et donc sortie du RSI ou de la CnavPL)
- La réforme a déplacé les flux de prélèvement en défaveur de l’Etat et en direction des caisses de retraite créant par la même de nouvelles difficultés budgétaires (en cause l’IS).
- Les distributions de dividendes ont été bloquées sans que l’investissement n’en profite.
- Les caisses de retraite génèrent des droits nouveaux potentiellement importants… mais cela n’engendre qu’un déplacement du problème.
Avec la clause anti-abus proposée par l’IPS :
- Plus les dirigeants appréhendent un revenu économique important, plus ils sont taxés.
- Les flux sont rééquilibrés et se rapprochent de ce qu’ils étaient avant la réforme, le budget de l’Etat notamment n’est plus impacté.
- Les stratégies d’évitement ne fonctionnent plus.
- La simplicité de traitement permet d’éviter des coûts cachés de traitement.